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70 ans de la Déclaration universelle des droits de l’homme : avec les femmes pour les femmes

Le 10 décembre nous avons fêté les 70 ans de l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui fut ratifiée à Paris au Palais de Chaillot le 10 décembre 1948 par les 58 états membres de l’Assemblée générale des Nations Unies.

Ce document fondateur  représente l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations. En 2014, le Haut commissariat des Nations-Unies aux droits de l’homme (HCDH) soulignait que les droits des femmes sont des droits de l’homme. Sous la complexité sémantique et grammaticale, il existe bien une volonté permanente de permettre aux femmes de bénéficier des mêmes droits que les hommes. 

Dès 1946, le Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC) crée par la résolution 2/11, la Commission de la condition de la femme (CSW),  pour « préparer des recommandations et rapports en vue d’œuvrer à la réalisation des droits des femmes dans les domaines politique, économique, civil, social et éducatif  » mais aussi pour faire des recommandations « sur les problèmes urgents qui exigent une attention immédiate dans le domaine des droits des femmes ».  Cette commission existe toujours et a beaucoup contribué à la préparation d’instruments juridiques et politiques internationaux depuis sa création (Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes ainsi que la Déclaration et le Programme d’action de Beijing).

Lors de la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme, cette commission a joué un rôle crucial, gravant ainsi dans le marbre les fondements de l’égalité des droits.  Des débats ont porté par exemple sur l’usage de l’expression «  tous les hommes  ». Craignant ce celle-ci ne restreigne les droits au seul genre masculin, des femmes se sont battues pour l’adoption de la formule « tous les êtres humains » et « chacun ». Quelles sont ces femmes dont on ne parle jamais et qui pourtant ont façonné ce texte fondateur ? 

Rappelons le rôle majeur d’Eleanor Roosevelt, nommée en 1946 déléguée à l’assemblée générale des Nations Unies par le président Harry Truman. Présidente de la Commission des Nations Unies pour les droits de l’Homme, Eleanor Roosevelt, fut l’un des piliers majeurs de l’élaboration de la Déclaration Universelle ! « Première Dame du Monde » comme la nommait Truman, elle a joué un rôle décisif énoncé par ses propres mots : « Nous nous tenons aujourd’hui au seuil d’un événement exceptionnel qui va marquer la vie des Nations Unies et celle de l’humanité. Cette déclaration pourrait bien devenir une Magna Carta (Grande Charte) pour tous les hommes dans le monde entier. ». Récompensée à titre posthume en 1968 par le Prix des droits de l’homme des Nations Unies, elle aura tout au long de sa vie, croisé le fer pour l’acceptation et le respect des droits énoncés dans la Déclaration avec une seule idée en tête : « Faites ce que vous pensez fondamentalement être juste, car vous serez critiqué de toute façon. Vous serez maudit si vous le faites, et vous serez maudit si vous ne le faites pas. » 

D’autres femmes ont joué un rôle majeur dans l’élaboration et la rédaction de ce texte. Parlons par exemple de Hansa Jivraj Mehta, réformiste et féministe indienne, l’une des 15 femmes qui prirent part à la rédaction de la Constitution indienne après l’indépendance de son pays. Présidente de la Conférence des femmes indiennes en 1945-1946, elle est déléguée de l’Inde à la Commission des droits de l’Homme de 1947 à 1948. Elle se battra pour  changer la plus fameuse des phrases de l’article 1. Le libellé «  tous les hommes sont nés libres et égaux » deviendra grâce à sa persévérance « tous les êtres humains sont  nés libres et égaux », permettant ainsi l’égalité des sexes. Begum Hamid Ali et Laksimi Menon ont elles aussi représenté l’Inde et notamment défendu l’inscription de « l’égalité des droits des femmes et des hommes » dans le préambule de la Déclaration, craignant que le mot chacun n’inclut pas les femmes en période de troubles ou dans certains pays où elles n’avaient pas de statut légal : « Considérant que dans la Charte les peuples des Nations Unies ont proclamé à nouveau leur foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l'égalité des droits des hommes et des femmes, et qu'ils se sont déclarés résolus à favoriser le progrès social et à instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande, (…) ». 

Minerva Bernardino, diplomate et leader féministe de la République dominicaine est l’une des quatre femme a avoir signé la Charte original des Nations Unies en 1945. C’est elle qui  plaide pour l’inclusion de l’égalité des hommes et des femmes dans le préambule  de la Déclaration universelle des droits de l’homme :« Considérant que dans la Charte les peuples des Nations Unies ont proclamé à nouveau leur foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l'égalité des droits des hommes et des femmes, (…) ».

Nommons également les membres de la commission qui se sont engagées dans cette lutte contre la discrimination des sexes dans la rédaction de ce texte fondateur : Bertha Lutz, cofondatrice du premier mouvement pour les droits des femmes au Brésil et Isabel Pinto de Vidal, présidente du Conseil national des femmes en Uruguay, qui permit la formation des femmes à l’exercice de leurs droits, leur accès aux fonctions électives et bien sur le droit de vote !

Marie-Hélène Lefaucheux quant à elle, représentante de la France au sein de la commission, députée de l’Aisne, conseillère de la République française, plaide pour l’inscription de la mention «  sans distinction de  sexe » à l’article 2 : « Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. »

Et que dire de Begum Shaista Ikramullah, l’une des deux femmes présentes à la première assemblée constituante du Pakistan, déléguée de son pays auprès des Nations Unies, engagée pour que le droit à l’éducation des filles et des femmes figurent au sein de la déclaration universelle des droits de l’homme mais aussi et surtout pour l’égalité des choix et contre les mariages forcés,  ce qui figurera à l’article 16 : «  (…) l'homme et la femme, (..) ont des droits égaux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution. Le mariage ne peut être conclu qu'avec le libre et plein consentement des futurs époux. »

Citons également, Bodil Bergtup. Fondatrice et présidente de la commission de l’ONU sur le statut des femmes en 1947, elle souhaite que l’éducation soit permise à tous et toutes, aux filles et aux femmes ainsi qu’aux minorités. Après un débat très controversé, elle obtient la mention suivante à l’article 16 : « Toute personne a droit à l'éducation ».

N’oublions pas la biélorusse Edvokia Uralova rapporteur de la commission, qui défendra le salaire égal, une vraie révolution avant les années 50 ! L’article 23 mentionne grâce à elle « Tous ont droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal. ». Ou encore la polonaise, Fryderyka Kalinowska et la russe Elizavieta Popova  qui souhaitèrent protéger les droits des personnes dans les territoires non autonomes alors même qu’elles vivaient sous le régime de l’Union des républiques socialistes soviétiques. 

En cette date anniversaire du 10 décembre 2018, il est important de mettre à l’honneur ces femmes pionnières, souvent trop méconnues, qui ont permis d’inscrire les fondements de l’égalité des droits dans un texte fondateur encore trop souvent bafoué. Premières actrices de leur émancipation, elles ont mené un combat au risque de l’incompréhension, de la stigmatisation, du rejet, parfois au péril de leur vie.  Depuis 70 ans, grâce à cette  Charte des Nations Unies, de nombreux progrès ont été réalisés, des engagements fondamentaux et internationaux ont été pris, notamment le plan d’action de la conférence de Pékin en 1995 qui  reste le principal document normatif de référence pour l'égalité entre les femmes et les hommes.

Mais Il y a encore tant à faire et nous sommes aujourd’hui  les témoins du développement exponentiel des violations des droits de l’Homme dans les environnements de conflits armés et du rétrécissement de l’espace des droits humains, y compris au sein des sociétés démocratiques. 

Symbole fort de cette 70e année de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le prix Nobel de la Paix 2018 est le docteur Denis Mukwege dont le combat pour la reconnaissance du viol comme arme de guerre devient aujourd’hui un message porté au monde. Un homme qui sauve les femmes et qui clame haut et fort qu’à la base de toute société, il y d’abord ...une femme. Déclarant dédier son prix aux femmes du monde entier, il a souhaite partager cet honneur et son combat avec Nadia Murad, jeune femme yezidie, ancienne esclave sexuelle du groupe arme etat islamique. Nous assistons aujourd’hui à Oslo au premier prix Nobel de la Paix, de l’égalité, de l’équité mais aussi du partage et de la célébration des droits humains, droits de l'homme et de la femme.

C'est pourquoi aujourd'hui, il est important de rappeler que la question du genre dans les droits fondamentaux est essentielle. Droits de l'homme ou droits humains ? Le Ministre des affaires étrangères Jean-Yves le Drian, a récemment appelé a mettre un terme à cette confusion. Partisan des « droits humains », il vise a changer les nomenclatures pour mieux préserver les femmes, en France, en Europe mais aussi dans le monde, car a ce titre la France accuse un retard significatif. 

Comme le rappelle Anne Nègre, avocate, experte  Egalité entre les hommes et les femmes lors de la dernière conférence des OING du Conseil de l'Europe, qui vient d'adopter l'utilisation de l'expression « droits humains », la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 14 juillet 1789 en France énonce des droits fondamentaux universalistes uniquement à destination des hommes. 60 ans plus tard, les femmes ont obtenu des garanties mais uniquement constitutionnelles. Ainsi en ratifiant la Déclaration universelle de 1948 notre pays a changé le contenu de ses droits fondamentaux, …en incluant les femmes. Ainsi la France, aurait du depuis 70 ans adapter sa nomenclature, comme l’ont fait divers pays : en anglais  «  rights of man » est devenu « human rights », en italien « diritti dell’uomo » est devenu « diritti umani », en espagnol « derechos del hombre » est devenu « derechos humanos ». Le combat engagé en 1946 aux Nations Unies et mené il y a 70 ans par les personnes engagées et courageuses au sein de la Commission de la condition de la femme est de ce fait toujours d’actualité.

 

Anne-Sophie Coppin

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